15 octobre 2007

Dans le mange-disques : Baby 81, Black Rebel Motorcycle Club

Le voilà, le retour des hommes en noir ! Black Rebel Motorcycle Club (BRMC pour les intimes) revient avec une nouvelle livraison, la 4e précisément. Alors ? Alors ces gars-là ont encore tout bon. Baby 81 (en référence au « bébé n°81 », Sri-Lankais de 4 mois retrouvé juste après le tsunami et réclamé par neuf familles différentes) est hautement addictif, brutal, et de nouveau d’une classe folle.


Rappel des (mé)faits : après deux opus au fumet garage rock, aux morceaux lardés de gros riffs bien huileux, le groupe avait surpris tout son monde en délivrant Howl. Un album loin d’être furibard, tout en nuances, revisitant les fondements du rock américain : country, folk. Pas si étonnant quand on sait que le seul Britannique de la bande, le batteur Nick Jago, n’a participé qu’à la moitié de l’enregistrement. Fallait le temps de soigner ses addictions.
Howl est un pavé dans la mare de cambouis, stupeur dans le public : deux camps se forment, ceux qui prennent le virage à fond (moi, entre autres) et ceux qui sortent de la route, déçus de ne pas retrouver de bombinettes stylées Whatever happened to my rock’n roll.

Autant le dire franchement, Baby 81 renoue avec... les deux. Je m’explique : les grosses guitares sont de retour la majeure partie du temps, Gibson et ampli Fender vintage à fond. On retrouve le son délicieusement crade, l’ambiance moite et, pour un peu, la bière et la sueur coulerait des baffles. Mais Howl est aussi présent par des touches acoustiques, subtiles, par des chœurs.
Dès le début, le ton est donné avec Take out a loan, à la formule éprouvée : riff vicieux, batterie qui rentre, break à la basse vrombissante. Berlin ne laisse pas retomber la pression, grosses guitares, refrain entraînant, et toujours ce son drogué jusqu’à la gueule. Vient ensuite THE single, Weapon of choice. Deux mesures d’intro à l’acoustique, énorme batterie puis on ressort la Gibson demi-caisse pour le gros son. Arrive le refrain, taillé pour embraser le public, rageur : « I won’t waste my life on a nation. » Il y a quelques années, on parlait d’ « arena rock » pour qualifier les groupes de la trempe de U2 ou de Simple Minds, taillés pour les stades, aux morceaux à reprendre en chœur. Ici, l’effet est tout aussi dévastateur. Sans doute le morceau le plus « facile », mais qui fait saliver en pensant au live…
Vient ensuite Windows et son piano rageur, allié contre-nature (pense-t-on) de la distorsion, et son solo à l’emporte-pièce. Cold wind et la voix narquoise et braillarde de Peter Hayes qui lutte contre les murs de fuzz, avant de se terminer sur… des harmonies vocales (Beach Boys dans l’âme, ces bandits ?). 666 Conducer, au long crescendo, mais qui se termine abruptement. Lien on your dreams renoue avec la veine refrain en chœur, aperçue avec Weapon of choice : « I needed more » répété en boucle, sans oublier la ligne mélodique imparable en sortie de chorus. Need some air redonne un second souffle à l’album et repart dans une autre direction, menaçante, speedée. Dans un autre contexte, les « ho-ho-ho » du refrain pourraient prêter à sourire. Sauf qu’ici, on est loin des sept nains.

Howl ressurgit encore alors que ne s’y attend plus, disparaît aussi vite qu’il est arrivé : Killing the light désarçonne, chant implorant, bordélique, parfois bluesy, guitares bien vues, final cataclysmique. On en vient alors à la pièce majeure de cet album, American X et ses 9’11. Sacré morceau, qui trouve le moyen de ne pas lasser, de ne pas faiblir, bien que le chant cesse à mi-parcours. La fin semble s’approcher pour mieux s’échapper, au gré des phrasés courts mais nerveux de Peter Hayes. Baby 81 aurait pu (dû ?) se terminer là. Mais le groupe repart sur un ultime contre-pied, Am I only. Touchant, avec ses cordes et ses guitares acoustiques, parfois strié d’éclairs électriques, le morceau résume parfaitement l’album. Il sonne comme une dernière réminiscence d’Howl, tout en laissant une place à cette énergie rageuse qui caractérise aussi la formation.

Verdict ? Un fichtrement bon album, un poil plus poli que ses prédécesseurs, qui choisit de ne pas choisir entre deux orientations. Un compromis, sans se compromettre. Sur le fil, en somme. On sent Peter Hayes toujours aussi dictatorial, tiraillé entre son romantisme exacerbé et son envie de plaire au plus grand nombre. OK, rien de révolutionnaire sous le soleil. Ca tombe bien : eux, ils préfèrent l’ombre.


Sur le Net. http://www.blackrebelmotorcycleclub.com/ , l’officiel.

En live. Mardi 20 novembre à l’Elysée Montmartre à Paris ; mercredi 5 décembre à la Laiterie de Strasbourg et jeudi 6 décembre au Grand Mix de Lille.

A voir. Vidéos glanées sur YouTube,
ici, ici et ici. Et puis aussi et , acoustique et électrique.

A écouter. Par
, trois acoustiques. Ci-dessous, quatre morceaux de Baby 81 pour commencer. A la suite, jettez aussi une oreille sur ces deux titres de Brian Jonestone Massacre. Connaît pas ? C’est la formation où officiait Robert Levon Been, avant de prendre la basse et la guitare chez BRMC.

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10 octobre 2007

Damien Rice et Ray Lamontagne, des mots plein de cicatrices

Les deux garçons ont des parcours somme toute assez similaires. Des façons de voir les choses analogues, des influences communes. Surtout, ils ont quelques décennies de retard, après être restés bloqués sur la période singer-songwriter. Tristes, désabusés ? Assurément. Quand on les entend, on entend aussi Nick Drake, Van Morisson, Neil Young… Et puis Dylan, naturellement.

Premier du lot, et sans doute aussi le plus connu : Damien Rice. L’histoire de ce jeune Irlandais est belle car inattendue. Chanteur du groupe rock Juniper, il quitte le navire alors que la formation s’apprête à enregistrer son premier opus. S’ensuit un périple à travers l’Europe, avant le retour en Irlande et l’enregistrement d’un effort solo.
Ce premier album, enregistré avec des bouts de ficelles, devait se limiter à ravir son cercle d’amis. Et puis, le bouche-à-oreille aidant, O circule de main en main. L’animateur radio Nic Harcourt s’en empare et les diffuse. Le coup de pouce est salutaire, les journaux américains lancent le buzz. Le Los Angeles Times décrit ainsi Damien Rice comme « un mélange de personnalité et de présence, du niveau de Jeff Buckley ou Thom York ». Dans O, on retrouve des lignes mélodiques à foison, des arpèges délicats, que de l’acoustique. La voix est un peu sèche, ample et caressante, à mille lieux d’un Tom Waits. Encore un clochard céleste, mais d’un autre genre.
Le cinéma prend le phénomène au vol : le film Closer, entre adultes consentants récupère deux de ses morceaux, les séries Lost et Grey’s anatomy aussi. Bingo : O se classe seconde meilleur vente de tous les temps en Irlande derrière U2.Son successeur, 9, sort fin 2006. C’est aussi la fin d’une période : la chanteuse Lisa Hannigan, jusqu’à présent omniprésente (chœurs, couplets voire chansons entières), s’en va quelques mois plus tard, vraisemblablement dans la douleur. C’en est fini du mariage de ces deux voix, l’une parfaitement pure et l’autre voilée à souhait. Mais le bonhomme a suffisamment de ressources pour rebondir. Ca n’est pas pour tout de suite : sa tournée s’achève ces jours-ci et sera suivie par un break de deux ans.


Lamontagne, vers les sommets
Ray Lamontagne évolue dans les mêmes sphères. Là encore, rien ne le prédestinait à truster la scène. Après avoir été trimbalé d'une ville à l'autre dans son enfance («J'aurais bien aimé habiter une maison comme tout le monde, plutôt qu'une bagnole»), il construit sa cabane en rondins au fond des bois de l'Etat du Maine. Manutentionnaire dans une usine à chaussures du Maine, il vivait une vie routinière jusqu’à ce qu’un matin, son radio-réveil crache le Treetop Flyer de Stephen Stills (oui, l’ex de Véronique Sanson, celui de Crosby, Stills, Nash and Young).
Se produit alors une sorte d’électrochoc : c’est décidé, Ray quitte son job et se mue en singer songwriter, avec une barbe, et une guitare. Tout en vivotant en tant que charpentier, il apprend la guitare, et compose ses bouts de chansons dans son coin. Jusqu’à ce que le gouverneur du Maine écoute ces perles et l’oriente vers une maison de disque. C’est en tous cas ce que dit la légende (la maison de disque).
Jackpot : le premier opus, Trouble, bien que rêche et dépouillé, se vendra à 250 000 exemplaires. Son successeur, Till the Sun Turns Black, est beaucoup plus fouillé. On pourrait presque dire que c’est un album d’arrangeur, et plus de compositeur.
Ray, il en a, des choses à dire. Des tristes, des touchantes, des rageuses parfois. Jamais très gai, souvent écorché, au plus près de l’os et des larmes. Ce bûcheron chétif mène une vie des plus solitaires, limite ascétique, et est d’une timidité maladive. Le Norvégien Thomas Dybdhal, nouvelle coqueluche, peut aller pêcher la truite : Ray Lamontagne fait dix fois mieux. Question de culture. Pas question non plus de virer R’N B moisi ou variété Knorr : « Il y a trop souvent des gars qui enregistrent des bouts de sons pour les coller ensemble. On n'entend aucune hésitation, aucun bafouillage. C'est le principe du zéro défaut. Le jeu entre les musiciens n'existe pas. C'est une musique sans vie. »
Lui s’oppose diamétralement à ces pratiques et se pose en artisan. Un artisan folk, soul même. C’est en cela qu’il se rapproche de Van Morison. L’autre père spirituel, c’est Dylan, forcément. Pas n'importe lequel : celui de Blonde on Blonde, de John Wesley Harding, deux piliers de la sagesse qu’il écoute quotidiennement. « Les autres artistes ne m'intéressent pas. Le son de Dylan reste éclatant et déroutant. » Dans son radio-réveil, on sait désormais ce qui tourne.


Sites : http://www.damienrice.com/
http://www.raylamontagne.com/

Dans le même style. David Gray (Sail Away), Josh Ritter en solo (The Temptation of Adam et Girl in the war, par ici, ici et ici), Ellioth Smith (tout), Nick Drake (pareil).

A voir, à écouter. Vous trouverez ici le duo réalisé à l’occasion de Taratata. Ci-dessous, quelques morceaux issus de leurs albums respectifs. A noter l’excellente cover de Crazy, de Gnarls Barkley.

A écouter.
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8 octobre 2007

Les Desert Sessions

Drôle de type, ce Josh Homme. Voilà un gars qui gratte (fichtrement bien d'ailleurs) au sein de Kyuss, monstre du rock stoner ("rock défoncé", voir plus bas pour l'explication). Qui se retrouve tout embêté lorsque la formation se sépare, en 1997. Et qui décide alors de ne plus jamais reprendre sa respiration et de se lancer dans des séries de collaborations à n'en plus finir.
Fort d'une légitimité en béton auprès des fanas de rock gras US, il monte les Queens of the Stone Age, bosse sur des BO de film, prête sa voix au collectif électro U.N.K.L.E., lance son label, et abandonne sa position de frontman pour tenir les fûts des Eagles of Death Metal. Entre autres.

Au milieu de tout ça, on retrouve les Desert Sessions. Le principe n'est pas bien compliqué : inviter dans son ranch, paumé au milieu du désert, des potes (ou pas) zikos dont il apprécie le boulot. Des types venant de Soundgarden, de Monster Magnets... Hop, chacun bosse dans son coin ou en petit groupe, quelques jams, un minimum de prod' et un album voit le jour au bout d'une semaine. Forcément, comme ces m'sieurs-dames n'aiment pas la facilité, ils laissent une large part à l'impro et aux expérimentations. Sans oublier de reprendre entièrement des morceaux existants, version hard rock ou surf music histoire que ce soit encore plus casse-gueule.

Tout ce petit monde s'articule autour de Josh Homme. Il y a les "regulars", ce qu'on retrouve sur chaque album ou presque : Dave Catching, Alain Johannes, Chris Goss et Troy van Leeuwen notamment. Et ceux qui vont et viennent : PJ Harvey qu'on ne présente plus, Twiggy Ramirez, lâché par Marilyn Manson et échappé de A Perfect Circle, l’ex Screaming Tree Mark Lanegan...
A chaque session, deux volumes sortent, commercialisés ensemble. A ce jour, on en est aux 9/10. Et ça peut continuer longtemps, puisque Josh Homme ne soit aucune raison de s'arrêter.

Evidemment, les albums partent dans tous les sens. Ca sent la défonce, ça tangue de droite et de gauche, c'est bordélique et ça se prend pas la tête, ça passe sans transition (dans le même morceau, et alors ?) de la country psychédélique au gospel. Finalement, les Desert Sessions, c'est un peu comme les photos de vacances. C'est sympa à regarder (ou à écouter), mais on ne comprend pas toujours toutes les blagues.

Rock stoner. Typement US, il se démarque par des rythmiques répétitives, une basse très lourde et des guitares parfois psychédéliques, ainsi qu'un max de dope. Le terme est souvent récusé par les groupes eux-mêmes, qui préfèrent celui de "Desert rock".

A voir, à écouter. Vous trouverez ici le making of des Desert Sessions des volumes 9/10 et un live (au casting, hormis Josh Homme, PJ Harvey).



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