10 octobre 2007

Damien Rice et Ray Lamontagne, des mots plein de cicatrices

Les deux garçons ont des parcours somme toute assez similaires. Des façons de voir les choses analogues, des influences communes. Surtout, ils ont quelques décennies de retard, après être restés bloqués sur la période singer-songwriter. Tristes, désabusés ? Assurément. Quand on les entend, on entend aussi Nick Drake, Van Morisson, Neil Young… Et puis Dylan, naturellement.

Premier du lot, et sans doute aussi le plus connu : Damien Rice. L’histoire de ce jeune Irlandais est belle car inattendue. Chanteur du groupe rock Juniper, il quitte le navire alors que la formation s’apprête à enregistrer son premier opus. S’ensuit un périple à travers l’Europe, avant le retour en Irlande et l’enregistrement d’un effort solo.
Ce premier album, enregistré avec des bouts de ficelles, devait se limiter à ravir son cercle d’amis. Et puis, le bouche-à-oreille aidant, O circule de main en main. L’animateur radio Nic Harcourt s’en empare et les diffuse. Le coup de pouce est salutaire, les journaux américains lancent le buzz. Le Los Angeles Times décrit ainsi Damien Rice comme « un mélange de personnalité et de présence, du niveau de Jeff Buckley ou Thom York ». Dans O, on retrouve des lignes mélodiques à foison, des arpèges délicats, que de l’acoustique. La voix est un peu sèche, ample et caressante, à mille lieux d’un Tom Waits. Encore un clochard céleste, mais d’un autre genre.
Le cinéma prend le phénomène au vol : le film Closer, entre adultes consentants récupère deux de ses morceaux, les séries Lost et Grey’s anatomy aussi. Bingo : O se classe seconde meilleur vente de tous les temps en Irlande derrière U2.Son successeur, 9, sort fin 2006. C’est aussi la fin d’une période : la chanteuse Lisa Hannigan, jusqu’à présent omniprésente (chœurs, couplets voire chansons entières), s’en va quelques mois plus tard, vraisemblablement dans la douleur. C’en est fini du mariage de ces deux voix, l’une parfaitement pure et l’autre voilée à souhait. Mais le bonhomme a suffisamment de ressources pour rebondir. Ca n’est pas pour tout de suite : sa tournée s’achève ces jours-ci et sera suivie par un break de deux ans.


Lamontagne, vers les sommets
Ray Lamontagne évolue dans les mêmes sphères. Là encore, rien ne le prédestinait à truster la scène. Après avoir été trimbalé d'une ville à l'autre dans son enfance («J'aurais bien aimé habiter une maison comme tout le monde, plutôt qu'une bagnole»), il construit sa cabane en rondins au fond des bois de l'Etat du Maine. Manutentionnaire dans une usine à chaussures du Maine, il vivait une vie routinière jusqu’à ce qu’un matin, son radio-réveil crache le Treetop Flyer de Stephen Stills (oui, l’ex de Véronique Sanson, celui de Crosby, Stills, Nash and Young).
Se produit alors une sorte d’électrochoc : c’est décidé, Ray quitte son job et se mue en singer songwriter, avec une barbe, et une guitare. Tout en vivotant en tant que charpentier, il apprend la guitare, et compose ses bouts de chansons dans son coin. Jusqu’à ce que le gouverneur du Maine écoute ces perles et l’oriente vers une maison de disque. C’est en tous cas ce que dit la légende (la maison de disque).
Jackpot : le premier opus, Trouble, bien que rêche et dépouillé, se vendra à 250 000 exemplaires. Son successeur, Till the Sun Turns Black, est beaucoup plus fouillé. On pourrait presque dire que c’est un album d’arrangeur, et plus de compositeur.
Ray, il en a, des choses à dire. Des tristes, des touchantes, des rageuses parfois. Jamais très gai, souvent écorché, au plus près de l’os et des larmes. Ce bûcheron chétif mène une vie des plus solitaires, limite ascétique, et est d’une timidité maladive. Le Norvégien Thomas Dybdhal, nouvelle coqueluche, peut aller pêcher la truite : Ray Lamontagne fait dix fois mieux. Question de culture. Pas question non plus de virer R’N B moisi ou variété Knorr : « Il y a trop souvent des gars qui enregistrent des bouts de sons pour les coller ensemble. On n'entend aucune hésitation, aucun bafouillage. C'est le principe du zéro défaut. Le jeu entre les musiciens n'existe pas. C'est une musique sans vie. »
Lui s’oppose diamétralement à ces pratiques et se pose en artisan. Un artisan folk, soul même. C’est en cela qu’il se rapproche de Van Morison. L’autre père spirituel, c’est Dylan, forcément. Pas n'importe lequel : celui de Blonde on Blonde, de John Wesley Harding, deux piliers de la sagesse qu’il écoute quotidiennement. « Les autres artistes ne m'intéressent pas. Le son de Dylan reste éclatant et déroutant. » Dans son radio-réveil, on sait désormais ce qui tourne.


Sites : http://www.damienrice.com/
http://www.raylamontagne.com/

Dans le même style. David Gray (Sail Away), Josh Ritter en solo (The Temptation of Adam et Girl in the war, par ici, ici et ici), Ellioth Smith (tout), Nick Drake (pareil).

A voir, à écouter. Vous trouverez ici le duo réalisé à l’occasion de Taratata. Ci-dessous, quelques morceaux issus de leurs albums respectifs. A noter l’excellente cover de Crazy, de Gnarls Barkley.

A écouter.
free music

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Damian Rice, le seul capable de faire oublier (un peu) Jeff Buckley.

Quant à "Crazy", il y a aussi une bonne cover par Jude